Simple histoire by Ivan Gontcharov

Auteur:Ivan Gontcharov [Gontcharov, Ivan]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Littérature russe, Société, 19e
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2024-01-15T00:00:00+00:00

CHAPITRE II

Alexandre, rentré chez lui, s’assit dans un fauteuil et resta songeur. Il se remémorait tout son entretien avec son oncle et sa tante, et il éprouvait le besoin d’y réfléchir mûrement.

Comment, à son âge, se permettre de haïr, de mépriser les hommes ! Après avoir pénétré et jugé leur nullité, leur misère, leur infirmité, après avoir passé au crible toutes ses connaissances, voilà qu’il avait oublié de s’analyser lui-même. Quel aveuglement ! Et son oncle lui avait donné une leçon, comme à un écolier ; il l’avait épluché, devant une femme encore ! Pourquoi ne s’était-il pas étudié lui-même ? Comme cette leçon devait avoir grandi Petr Ivanovitch, aux yeux de Lisaveta Alexandrovna ! Décidément, toujours et partout son oncle le dominait.

Qu’était-ce, alors, que cette supériorité de la jeunesse, de la fraîcheur, de la verdeur intellectuelle et sensitive, puisqu’un homme de quelque expérience, mais de cœur dur et froid, l’annihilait comme en se jouant ? Quand la lutte serait-elle égale, quand la victoire lui sourirait-elle enfin ? Il avait pour lui, semblait-il, le talent et l’abondance des forces morales ; mais toujours l’oncle apparaissait comme un géant à côté de lui. Avec quelle sûreté Petr Ivanovitch le rétorquait, avec quelle légèreté il réfutait tous ses arguments ! Comme il arrivait aisément à son but, plaisantant, bâillant, raillant ses sentiments, ses sincères effusions d’amour ou d’amitié, tout ce que les hommes d’âge envient d’ordinaire à la jeunesse.

À cette pensée, Alexandre rougit de honte. Il se promit de s’observer rigoureusement et, à la première occasion, d’avoir raison de son oncle. Il lui prouverait que nulle expérience ne saurait prévaloir contre les dons d’en haut, et que, de ses froides et méthodiques prédictions, pas une ne se réaliserait.

Il trouverait sa voie lui-même, il y marcherait d’un pas ferme et égal. Il n’est plus ce qu’il était voilà trois ans. Il a pénétré les mystères du cœur, observé le jeu des passions, découvert le secret de la vie, non sans souffrance ; mais il s’est à jamais aguerri. Son avenir s’est éclairci ; il s’est relevé, il a retrouvé ses ailes ; il est un homme, et non plus un enfant. En avant, hardiment ! Son oncle s’en apercevra, et jouera à son tour, lui, l’homme d’expérience, le rôle d’un pitoyable écolier. Petr Ivanovitch verra, avec quelle surprise, que la vie, l’illustration, le bonheur se rencontrent encore ailleurs que dans cette misérable carrière qu’il s’est choisie et qu’il voudrait, par envie, imposer à son neveu. Encore, encore un effort viril, et la lutte sera finie !

Alexandre renaissait à la vie. De nouveau, il se créa un monde particulier, un peu plus compliqué que le premier. Sa tante l’encourageait, mais secrètement, lorsque Petr Ivanovitch dormait, ou s’en allait à la fabrique ou au club anglais.

Elle interrogeait Alexandre sur ses travaux. Comme il s’en trouvait ravi ! Il lui disait le plan de ses créations, et souvent il demandait un conseil pour obtenir une approbation. Elle lui faisait parfois des objections, mais, plus souvent, des éloges.

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